
Johann Chapoutot est historien spécialisé dans le nazisme. Il est donc passablement pointu et étudie des aspects qui ne sont pas toujours les plus connus. Par exemple, les doctrines d’encadrement et de formation nazis. C’est l’occasion d’une plongée détaillée et vraiment intéressante dans la construction de l’idéologie nazie, notamment dans la manière dont elle va se décliner en termes d’injonction de comportement et de productivité industrielle. De là, donc, des méthodes d’organisation collective, et en particulier pour les officiers SS et leurs partenaires industriels. Sachant que la logique des camps est tout à fait dans cette logique, et que nombre de déportés et exterminés servent de force de travail dans l’industrie. On suit ici le théoricien majeur de ce management nazi. Et on découvre qu’il survit à la guerre et qu’il sera ensuite l’un des pontes mondiaux du management des multinationales des trente glorieuses. Et que donc une bonne partie de nos fondamentaux de management actuels sont hérités en ligne directe du nazisme. Ce qui ne fait pas du tout plaisir, mais qui est parfaitement raccord avec l’histoire d’accointance entre fascismes et néolibéralisme. Autant dire : oui, c’est passionnant, étonnant et éclairant. Et la mise en BD est très réussie. Le travail graphique en particulier m’a beaucoup plu, avec des pages très bien construites, pour expliquer les éléments théoriques notamment. La mise en narration est utile pour le lien avec le management néolibéral moderne mais n’est pas palpitante. Ce qui n’est pas bien grave puisque le fond l’est, notamment cette capacité à nous annoncer qu’on est libres sans avoir aucune prise sur les décisions réelles et stratégiques. Une BD à mettre entre toutes les mains, pour peu que vous soyez prêt-es à mettre le nez dans ces questions importantes mais pas follement réjouissantes.
Un roman graphique à mettre entre toutes les mains, tout à fait d’accord !