
Je suis par principe très convaincu de ce qu’apportent les personnes qui pensent depuis les marges. Ce que ce livre dense et profond vient largement confirmer. Sayak Valencia décrit et décrypte la manière dont le capitalisme, et en particulier le néolibéralisme, produit des formes particulières dans ses marges géographiques, et dans son cas le Mexique. Des formes qui mettent en jeu, en tant que marché, les corps et la violence. Et la violence la plus directement horrible et brutale, donc des pratiques gore et une violence excessive comme marque de fabrique et élément de concurrence sur un marché. Ce qui est le cas en particulier pour les cartels et les réseaux de narcotraffic. Alors, clairement, ce qu’elle décrit fait flipper. Mais c’est surtout d’une pertinence politique et analytique troublante. Son argument est notamment qu’il ne s’agit pas de déviances ou de marges, idéologiquement, mais de modalités pures de l’idéologie capitaliste, de pratique parfaitement cohérentes et qui peuvent même faire modèle. Ce qui amène un éclairage du capitalisme lui-même inquiétant et important. Un des conséquences de son analyse, parmi les plus directement en prises avec notre cadre privilégié, est la place culturelle accordée aux représentations de cette violence gore, et sa glorification dans de nombreuses oeuvres de fiction ou d’expression.Le fait que cette violence soit constitutive des formes de masculinité dominantes et bien sur au coeur de cette analyse et des conclusions qu’elle en tire. Il y a vraiment de quoi réfléchir dans tout ça, et avec un angle suffisamment inattendu pour être puissant. Après, si le propos m’a vraiment intéressé et alimenté, la forme m’a donné de la peine. C’est une écriture dense (en tout cas pour cette traduction) et c’est surtout un corpus de références et d’outils conceptuels très philosophiques et pas faciles à assimiler si on n’est pas du domaine. Donc j’ai peiné. Je ne regrette pas, vu la richesse du contenu, mais je ne le conseille pas si vous n’êtes pas à l’aise avec ce registre d’écriture.