Autant par intérêt personnel que par besoin professionnel, j’avais besoin de me documenter sur la question de l’inceste. Après avoir un peu traîné les pieds, je me suis lancé dans Dorothée Dussy, qui est une des autrices récentes de référence sur le sujet. Je ne regrette pas, elle m’a expliqué entre autres choses pourquoi je trainais les pieds. De fait, il est impressionnant de mesurer à quel point le phénomène est massif (on parle de chiffres, même estimés, absolument énormes) et à quel point le tabou est puissant. Ce qui est la question, l’enjeu central, voire la nature première de l’inceste : une culture du silence, du non-dit et de la honte. Qui se diffuse à toute la société. Dorothée Dussy explique ça, entre autres, et elle le fait de manière très incarnée et très illustrée, puisqu’elle s’appuie notamment sur de nombreux entretiens qu’elle a menés. Cette confrontation à des réalités vécues et explicites est essentielle pour prendre la mesure des faits et de leurs conséquences. Par contre, à lire, c’est terrible. C’est poisseux, même, avec une impression d’être pris dans les mailles d’un système oppressant. Ce qui est parfaitement juste, et ce qui est une réussite de mon point de vue : l’autrice a fait des choix d’écriture, pensés très intelligemment et explicité, qui donne à ressentir, mais qui réussit aussi à aérer avec des ruptures de registres et à faire prendre un recul critique. Avec un tel sujet, cette écriture est précieuse et salvatrice. Avec ça, elle passe en revue les mécanismes, l’ampleur, et également beaucoup les profils des incesteurs (qui sont donc de bons pères de famille, de bons voisins et amis, et qui bien souvent le resteront socialement après que les faits soient révélés, avérés et jugés (ce qui est aussi fou que révélateur des macanismes de l’nceste)) et des familles avec toute la reproduction que l’on trouve de génération en génération. Sur le trajet, elle colle quelques gifles à l’anthropologie classique et à la manière dont elle a contribué à invisibiliser l’inceste. Tout ceci est pensé dans une perspective féministe, bien sur, et matérialiste en termes de rapports de domination. D’où le titre, puisqu’une des idées défendues, choquante autant que convaincante, est que l’inceste est un des mécanismes de trasmission des dominations au sein de la société. C’est un livre que je trouve aussi important que son sujet… incontournable donc (même si on aurait bien envie de ne pas le voir) mais je ne peux pas vous dire que vous passerez un bon moment en le lisant.