
Le précédent livre d’Houria Bouteldja m’avait bousculé d’une manière que j’avais apprécié. Avec le titre de celui-ci, vous pouvez sans doute deviner qu’elle n’a pas levé le pied. Et c’est donc également rentre-dedans, et pas toujours confortable, mais puissant et juste. Elle attaque la question raciale de manière frontale, dans ce qu’elle fait vivre aux différentes catégories raciales et ce qu’elle construit donc de dynamiques sociales et politiques. D’abord en prenant à partie les blancs, avec une grande puissance et une belle efficacité dans ce qu’elle réussit à mettre en lumière et à questionner. Il faut accepter de se faire déranger, mais honnêtement, ça fait du bien d’avoir une parole aussi directe et claire, de pouvoir se regarder depuis l’extérieur, et de mesurer ce qu’on ne réussit pas à voir facilement de l’intérieur. Ensuite, même chose pour les juifs. Pour parer aux inquiétudes, je n’en ressors pas du tout avec une impression d’antisémitisme (mais je ne suis pas le plus point sur la question), mais bien avec l’impression d’une reconnaissance des enjeux partagés et de la place sociale particulière des juifs dans la société française. Enfin, deux parties sur les indigènes. Terme que je trouve tout à fait adapté dans le contexte. Et ces parties sont bien sûr plus exprimées depuis l’intérieur, et tant mieux, parce que là aussi ça envoie. L’ensemble a pour finalité, réussie à mon sens, de tracer des solidarités et des stratégies communes, de voir ce qui nous empêche de nous relier pour le dépasser. C’est précieux et c’est à mon sens assez rare. Surtout avec un format aussi puissant. Ce qui le rend puissant, c’est une écriture qui relève du parlé, de la prise à partie bien tournée, avec une dimension littéraire voire poétique que j’aime beaucoup. Et malgré cette forme très vivante et quotidienne, il y a derrière et dans son propos une assise théorique solide et profonde. Alimentée de sciences sociales critiques et décoloniales, bien sur. Comme le précédent, c’est un livre que j’ai beaucoup aimé et qui m’a remué, mais c’était un plaisir.