Comment il s’est construit notre désir ? Et notamment en ce qui concerne la violence et l’érotisation de la domination ? Comment ça nous a été transmis culturellement, ce modèle de l’homme qui s’impose, qui menace, qui est violent, mais qui au final en est sexy ? Ce sont des questions que j’avais déjà pas mal creusées et que je trouve passionnantes (et flippantes), mais je les avais toujours vues traitées par des angles plutôt théoriques. Ce qui est précieux, mais ce n’est pas toujours facile de faire ensuite le lien concret avec nos propres constructions et la manière dont c’est ensuite redescendu jusqu’à nous. C’est cette connexion là que Chloé Thibaud explore et analyse ici avec brio. Elle passe en revue un panel impressionnant de films et de séries (sur une étendue d’années assez large pour concerner plusieurs générations) pour y pointer les modèles et les tropes qui ont transmis ces modèles. C’est fou, c’est puissamment éclairant, et l’accumulation d’exemples explicites et détaillés, en particulier dans des œuvres cultes (et insoupçonnables pour moi) fait froid dans le dos. C’est un travail exemplaire et salvateur. Parce qu’il structure, qu’il décompose les différents messages et donc les différents éléments qui composent nos imaginaires, les briques qui construisent ce qu’on se trimballe ensuite comme désirs et comme représentations. Et parce que c’est argumenté et pointé dans le détail concret des images, des dialogues et des mises en scènes, avec en regard des interventions de théoricien-nes ou des réalisateur-ices directement. Tout cela est bien sur regardé par un prisme féministe outillé sérieusement : on s’attaque au male gaze, à l’exception française, au mythe du génie créteur transgressif, en plus de la question des agressions et violences. C’est vraiment du très bon boulot, et c’est vraiment très prenant, avec une écriture journalistique très efficace. Et quand je dis que c’est salvateur, c’est parce que ça pointe à des endroits sur lesquels ont peut directement se questionner et agir pour faire évoluer les représentations, à titre individuel pour commencer, puis plus largement (d’autant plus dans un contexte culturel français qui est franchement en retard, voire clairement réactionnaire, sur ces questions-là). Si ces questions de désir, de déconstruction et de rapport à la violence et aux modèles genrés de séduction sont des sujets que vous avez commencé à travailler sans forcément arriver à les traduire concrètement, c’est un livre parfaitement adapté que je vous recommande tout à fait. Et vous en sortirez avec une longue livre de films ou séries à bannir, ou à revoir pour mesurer à quel point ils vous ont mis des trucs dégueus dans la tête sans que vous l’ayez vu…