
Depuis bien longtemps, je constate un écart, voire une contradiction franche parfois, entre mes valeurs et certains fantasmes et certaines formes de désir. Et ce n’est pas comme si je n’avais pas déjà lu un certain nombre de choses sur le sujet, pour essayer de comprendre, voire de résoudre, ces dilemmes et ces oppositions pour le moins vexantes et déstabilisantes. Océan se pose depuis bien longtemps aussi les mêmes questions. Questionnements qu’il a documenté sur la longueur et qui l’amènent aujourd’hui à ce texte, très personnel mais aussi très politique et touchant à des enjeux tout à fait partagés. Son parcours est bien évidemment très individuel et spécifique, par ses rencontres et sa famille (avec un contexte de classes supérieures qui m’a par ailleurs largement amusé mais ça n’impacte en rien le propos de fond), puis par son parcours trans. Ce qu’il en raconte est touchant et fin, et non sans humour, mais avec une finalité qui est bien de servir d’illustration à une réflexion et pas de roman autobiographique. Et ce qui est au final vraiment passionnant, c’est la manière dont ce dévoilement très intime permet ensuite d’éclairer certaines leviers centraux de la construction des fantasmes et du désir, et de la manière dont ils peuvent s’imbriquer et s’opposer à des pratiques intimes et sexuelles qui sont parfois en lien et parfois pas du tout. L’éclairage psychologique est de mon point de vue bienvenu, mais il est superficiel, et tant mieux car il sert de socle à une mise en perspective plus large. Une idée très centrale est que nous nous sommes construit-es, hommes comme femmes, dans une culture patriarcale et dans une culture du viol. Et que c’est ce contexte que nous portons, et ces contradictions. Dans nos sexualités notamment, pour beaucoup (mais pas tous-tes et c’est aussi intéressant de le pointer). Ocean conclut sur le BDSM (compris par ailleurs dans un sens très très large) comme perspective de reprise de pouvoir, voire de thérapie. Là encore, il en parle plutôt comme éclairage politique que comme recommandation concrète, d’autant que c’est une présentation rapide. De manière générale, c’est rapide à lire, écrit avec vivacité, et c’est tant mieux parce que le fond est dense et pose plein de questions. C’est un livre pour partager des réflexions, par pour proposer une grande théorie ficelée, et je l’ai à ce titre beaucoup apprécié : il m’a permis de continuer à avancer sur ces questions compliquées mais essentielles.