
J’étais déjà admiratif d’Alexandra Kollontaï, pour son parcours : révolutionnaire, féministe, éducatrice à la sexualité, théoricienne, une des premières femmes ambassadrices, entre autres. Maintenant que je l’ai lue, c’est pire : son intelligence est évidente et la modernité et l’ambition de ses idées sont tout à fait impressionnantes. Elle veut changer le monde, en faire une société socialiste égalitaire, et elle pense pour celà la manière dont les relations entre les sexes doivent changer, dont la famille doit être déconstruite, dont il faut réinventer une culture des relations sexuelles et amoureuses. Et elle fait ça bien. En plusieurs parties. Enfin, en plusieurs parties… elle a beaucoup écrit sur le sujet, à différentes époques, et ce livre propose une compilation d’extraits de différentes époques, reliées par un fil thématique. Un premier texte démonte le modèle du couple monogamique en se basant aussi bien sur ses conséquences désastreuses pour les femmes, leurs conditions de vie matérielle et leur accomplissement, que sur son incompatibilité avec les valeurs marxistes. Elle propose une séparation de la cuisine et du mariage (qu’elle considère aussi importante que celle de l’État et de l’Église) et elle théorise un amour-jeu et un amour-camaraderie. C’est follement moderne et efficace, avec un petit côté amusant sur le décalage culturel. Dans la foulée, et sur une base d’analyse matérialiste, elle s’attaque à la question de la prostitution, qui est appelée à disparaitre si elle n’a plus de raison d’être économique : la priorité est donc de garantir à toutes des conditions de vie, et éventuellement de maternité, autonomes et sécurisées par la société. Thème qui est structurant : pour changer les relations entre les sexes et rendre les femmes égales, il faut les sécuriser matériellement, par l’action collective (de l’État prolétarien donc, dans le cadre de la révolution russe). S’ajoute à cette thématique celle de la femme nouvelle, et de la manière dont la culture, et en particulier la litérrature, commence à l’inventer à l’époque. C’est d’une manière daté, et d’une autre très moderne, parce que des femmes modernes telles que Kollontaï les décrit et espère, ben… on en pas pas tant que ça dans les productions culturelles d’aujourd’hui. Si donc l’ensemble est sur certains aspects daté (ce qui pour moi a un vrai charme), il est aussi très moderne par ses positions féministes et sa remise en cause des modèles traditionnels. Qui plus est, l’approche profondément matérialiste et politique de Kollontaï apporte un regard qui n’est pas habituel de nos jours mais qui éclaire certaines questions de manière très efficaces et questionnantes. C’est un livre qu’on peut lire purement en tant que curiosité historique, et c’est un peu pour ça que j’y venais… mais c’est bien plus riche et intéressant que ça. Et si d’aventure l’intro vous semble trop longue, zappez là ou bien revenez-y à la fin, parce que ça mérité de découvrir les textes d’Alexandra Kollontaï elle-même (qui écrit bien, et que j’ai envie de lire plus avant (si ce n’est que ce texte est un peu le seul en français et qu’il ne se trouve qu’en occasion pas du tout récente)).
En bonus : Kollontai par elle-même
https://www.marxists.org/archive/kollonta/1926/autobiography.htm
C’est bien intéressant tout ça. Je suis vraiment en réflexion aussi sur ce sujet de la transformation (en profondeur) de la relation entre les hommes et les femmes (pour arriver idéalement à une relation entre êtres vivants). Je n’y viens pas par les mêmes chemins que toi, mais ce que tu partages m’enrichit. Il faut vraiment que je trouve un moment pour revenir à Lyon.