
Nous sommes dans un temps politique a minima pré-fasciste, que d’aucun-es qualifieraient déjà de fasciste (et je n’en suis pas loin), ce qui suppose dans un premier temps de savoir qualifier de manière claire et concrète la fascisme. Pas seulement en tant que moment historique, mais en tant que doctrine et pratique politique, voire de culture au sens plus large. Cette question importante, et honnêtement passionnante, est ce qui fait la première partie de ce manifeste. C’est une partie agréable à lire, sur la forme, et bien construite, qui prend le temps de replacer l’émergence du fascisme dans son contexte, et la manière dont il n’a clairement pas disparu du tout à la sortie de la seconde guerre mondiale (ce que l’autrice illustre de manière détaillée avec l’Italie et la France). Ce qui rends assez transparent la filiation avec la manière qu’il a de ré-émerger aujourd’hui. C’est une partie qui est d’utilité publique en termes de culture politique. Elle va plus loin que Umberto Eco sur le sujet, même si elle s’appuie dessus, et elle intègre dans son analyse le cadre actuel de manière détaillée. Je valide à fond. Dans la seconde partie, l’autrice défend l’idée que c’est de la culture queer qu’émerge et émergera la meilleure défense collective face au fascisme, la culture la plus à même de lui résister et d’y mettre bas. Ce qui est un prisme que j’ai trouvé tout à fait intéressant, tout en étant en partie inattendu. Et j’ai trouvé ça plutôt convaincant. Enfin, j’ai trouvé les éléments culturels qu’elle définit comme nécessaires et efficaces face au fascisme très convaincants et solides. Rien à redire, ça donne vraiment les champs de bataille culturels essentiels dans cette lutte, et en donnant de l’espoir qui plus est. Et je ne nie pas que ces valeurs et pratiques soient en grande partie présentes dans la culture queer. Si ce n’est que je ne suis vraiment pas sûr qu’il existe une culture queer aussi solide et définie qu’elle le défend (enfin, elle pointe bien que ce n’est pas totalement le cas, et les travers d’une partie du milieu qui se trouve du coup en rupture par rapport à ces valeurs anti-fascistes). Du coup, j’aurais tendance à dire que les pistes qu’elle donne me convainquent, et que les cultures queer sont certainement une ressource et une inspiration, ce qui est joyeux, mais qu’il y a du boulot, au sein de ces cultures autant qu’en alliance avec, pour en faire des germes efficaces de lutte anti-fasciste. Ceci étant, peut-être que son optimisme est plus justifié que je ne le crois, après tout ma connaissance des milieux queers est limitée. En tout cas, c’est une réflexion enrichissante, un optimisme réjouissant, et des outils et pistes concrètes. Tout ça dans un format original et une écriture tout à fait plaisante.