
Chantal Jaquet est philosophe et elle s’attaque ici à un phénomène sociologique : les personnes passant d’une classe sociale à une autre (vers le haut, plutôt). Elle s’y connaît en sociologie mais ce qui l’intéresse ici, ce n’est pas de décrire le phénomène mais de comprendre pourquoi et comment certain-es individu-es y parviennent, en dépit du principe solide de reproduction sociale. D’où une approche philosophique (qu’elle justifie dans la première partie, ce qui est sans doute justifié mais pas haletant). J’étais un peu sceptique au départ mais je dois bien avouer que je suis au final convaincu par la démarche et surtout très intéressé par les idées qu’elle propose. Elle passe revue un certain nombre d’hypothèses complémentaires et imbriquées qui permettent de comprendre ce qui se joue dans ces parcours, en termes d’ambition, de modèles disponibles, de contexte collectif social et familial, d’affects personnels. Tout cela éclaire et fait sens, c’est précieux. Elle appuie sa réflexion sur des récits littéraires (dont évidemment Annie Ernaux et Didier Eribon, mais aussi Stendhal) ce qui donne du sensible et du concret, et bien sur des concepts philosophiques (ce qui fait que sont convoqués un certain nombre de grands philosophes : par défaut ça m’inquiète mais ici c’est toujours utile et bien dosé). On reste dans un registre conceptuel et philosophique mais de manière digeste, ce n’est jamais lourd et ça ne s’empêtre pas dans de longues digressions ou démonstrations. Bon, ça demande un petit effort mais c’est fondateur sur la question des transclasses.