Faire sa vie dans les campagnes en déclin : voilà le sous-titre de ce passionnant travail de sociologie. Benoit Coquard a choisi comme terrain d’étude les secteurs ruraux abandonnés du Grand Est (et il différencie bien d’autres territoires ruraux qui attirent du tourisme ou des néo-ruraux, donc quand ici on parle de déclin, c’est pour de vrai). Il en vient, ce qui lui a permis d’intégrer très directement les bandes de potes locales, point central de la sociabilité des jeunes adultes. Enfin, de ceux qui restent. C’est à dire de ceux qui n’ont pas d’autres options, en général faute de qualifications. Pour autant, ils ne le vivent pas comme un échec et mettent en œuvre des stratégies sociales pour être reconnus et valorisés. Benoit Coquard en fait un récit passionnant, en réussissant à la fois à être touchant dans la description et très fin dans les analyses et le recul qu’il donne sur les effets structuraux. Bref, de la bonne sociologie, qui permet de voir les impacts du dépeuplement et de la disparition des lieux de sociabilité collective (en particulier les bars), les effets du manque d’emploi et la concurrence entre pairs que ça crée, le repli sur des petits groupes solidaires et très masculins et la distinction d’avec les perdus et les cassos. C’est éclairant, et ça donne à comprendre avec finesse les difficultés, les revendications identitaires (dont le lien avec le vote FN), les logiques sociales et la domination masculine. Et un certain nombre de ses analyses font aussi écho à d’autres contextes et m’ont pas mal interpellé. C’est un livre qui se lit facilement (surtout une fois passée l’introduction) parce qu’il est incarné et très accessible dans la construction et la formulation de ses analyses sociologiques. C’est un livre éclairant sur ces classes populaires qui parlent peu et sont souvent décrites de l’extérieur et de manière caricaturale (les beaufs racistes de la campagne), ce que je trouve précieux. Et c’est pour finir un livre que j’ai trouvé émouvant.