Je ne connaissais pas Rose-Marie Lagrave mais Pauline l’a entendue à la radio et m’en a fait un chouette portrait, je ne le regrette pas. Dans ce livre, elle se livre à un exercice tout à fait particulier : une relecture sociologique de son parcours de transfuge de classe féministe. Issue de classe populaire (enfin, oui mais avec une culture familiale emprunte de références et d’ambitions bourgeoises) et rurale, elle a terminé sa carrière comme directrice d’études à l’EHESS, créant notamment le master Genre, politique et sexualités. Parcours ascensionnel qui aurait pu donner lieu à une narration glorieuse de sa réussite et sa capacité à s’en sortir, en mode « Vive le libéralisme », mais c ‘est bien tout l’inverse qu’elle entreprend : elle montre avec finesse et conviction à la fois les déterminismes sociaux, les soutiens et les voies de traverse et les doutes et l’illégitimité incorporée. Le fait qu’elle soit sociologue mais aussi féministe et militante syndicale lui permet une lecture critique et très lucide de son parcours et des milieux traversés. Du coup, c’est très riche pour comprendre ce type de parcours, ses enjeux et surtout la manière dont c’est vécu de l’intérieur. C’est aussi tout à fait passionnant de découvrir les contextes, institutions et travaux de recherche à travers son regard. Et c’est enfin très souvent émouvant, du fait de son parcours mais aussi des personnes qu’elle raconte (par exemple, ça m’a permis de saisir beaucoup mieux ce que faisait le fait d’être élevée dans la tradition catholique pré-Vatican II). J’en ressors enrichi de nombreuses manières et aussi avec une grande estime pour l’autrice. Pour son parcours mais aussi pour s’être lancée dans cet exercice inhabituel (et la longue introduction sur les enjeux méthodologiques fait bien sentir que ce n’est pas seulement inhabituel mais carrément risqué de s’y lancer, pour une universitaire). Elle y réussit complètement et je trouve précieux, en plus, d’avoir un récit de transfuge femme et pas issue du monde ouvrier, ça enrichit.