
K. J. Parker a une capacité impressionnante à construire des récits englobant des événements historiques de grande ampleur, des basculements de civilisation, et ce à partir du parcours d’individus pris dans le mécanisme d’ensemble. Individus qui sont tous très humains, complexes, et qui jouent dans le basculement de l’ensemble un rôle souvent inattendu et rarement maîtrisé, Autant dire qu’on est loin du modèle de narration héroïque si fréquent en med-fan (de toutes façons, il n’y a pas de fantastique, on serait plutôt dans de l’histoire alternative/fictive), et bien plus dans une approche complexe, sociologique et politique. Ce que j’aime sans surprise beaucoup, et qui m’impressionne très largement. En plus, Parker construit bien souvent des personnages principaux avec des professions inattendues et ayant un impact fort sur la manière de voir le monde et d’y agir. Ici, il s’agit d’un ingénieur, et c’est vraiment la thématique centrale de cette grosse trilogie : voir le monde comme une machine à construire et à ajuster, et par extension voir les gens comme des pièces à perfectionner et assembler afin de remplir leur fonction. Et ce n’est pas parce que Parker construit sur une trame et une intention abstraite (et passionnante de mon point de vue) qu’il n’arrive pas à produire aussi un récit riche, vivant et émouvant. Ou qu’il oublie de mettre de la tension et des révélations (tout en réussissant à ne montrer quasi pas de scènes de combat en direct, seulement rapportées : les vraies scènes de tension et d’affrontements sont des dialogues, et ils envoient). En termes de révélations progressives à même de modifier la manière dont on voit l’ensemble, ça se pose là également. C’est au total foisonnant, et avec une capacité telle à mêler différentes dimensions que c’en est même intimidant. (J’ai du mal à concevoir comment on s’y prend pour construire un tel édifice narratif). Mais c’est tellement bien fait qu’il n’est finalement pas difficile de se laisser porter dans ce labyrinthe pas tellement joyeux (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’humour, loin de là, mais la thématique générale ne relève pas de la pensée magique réjouie ni du sauvetage du monde, plutôt de son basculement) mais tellement plein de détails, de richesses et de rouages qu’il n’y a aucune place pour l’ennui, l’habitude ou la répétition. Ni pour rien qui relève du cliché ou de la facilité. Je suis déjà dans le dernier tome, et en train de prévoir quels sont les prochains K.J. Parker que je vais lire, je suis sous le charme (et très impressionné).
